La Bible, un livre à multiples entrées.


Introduction

Le livre «objet» sous ses diverses formes et éditions n’est rien d’autre qu’une production aujourd’hui industrielle à disposition de qui veut bien l’acquérir ou la recevoir.
Le livre est constitué d’une collection de textes divers, rassemblés à un certain moment de l’histoire, par des personnes passionnées de «vérités» aussi diverses que leurs origines.

Mon intention est de mettre en évidence les différentes approches et origines de ce recueil séculaire, sans en privilégier aucune, donc sans prétendre que l’une est plus pertinente que les autres. Toutes se justifient, toutes sont dignes d’intérêt, aucune n’est juste par rapport à d’autres qui seraient «fausses» : Ce sont les témoignages d’histoires qui s’inscrivent dans l’HISTOIRE des pratiquants d’une interprétation du religieux ou du divin.

Les citations sont naturellement incomplètes et ne sont mentionnées que comme exemples des modifications, ajouts, pertinents pour les auteurs à un moment donné.

1. Le texte d’aujourd’hui en librairie

Les diverse traductions à disposition sont le fruit de traducteurs, adaptateurs de textes originaux en hébreu, araméen, grec, latin et contemporains destinés à une lecture sans filtre pour ceux que cela intéresse.
Le lecteur, comme pour tous les livres, peut se faire une idée du contenu du texte et le méditer, si c’est son envie, comme il peut le faire avec l’Iliade et l’Odyssée, les poèmes de Victor Hugo, ou le Capital de Karl Marx. Il peut se référer aux traditions religieuses et aux histoires des divinités de l’Olympe, aux mésaventures d’Ahura Mazda, ou au panthéon de hindouisme.

Dans la tradition chrétienne, c’est l’usage de la «lectio Divina» qui en fait le socle de la méditation et de la prière, et son usage en liturgie qui rend ces textes accessibles et centraux pour la pratique cultuelle dans la longue tradition des communautés ecclésiales.

2. L’exégèse comme archéologie et analyse littéraire du livre.

Les «théologiens» de toutes les époques, dans toutes les traditions ont essayé de répondre à «LA» question : Comment nous sont parvenus ces textes rassemblés sous la forme de «BIBLE» ?
Qui a écrit quoi ? Quand et d’où cela vient ? Pourquoi y a-t-il des doublets, des redondances, des variations dans les histoires ? Quand a-t-on défini un texte normatif ?. Si les croyants ont souvent voulu que ce soit la «Parole de Dieu», livre dicté par l’inspiration divine, et c’est encore le cas pour de nombreux chrétiens, nous devons reconnaître que l’archéologie des textes et du terrain nous donnent des informations dont l’interprétation suscite de nombreux débats : La création en sept jours, le déluge, la traversée de la Mer Rouge, Abraham et sa descendance, David et Salomon dans

l’Ancien Testament sont aujourd’hui très différemment présentés de l’idée que Ernest Renan en avait au 19e siècle, ou les théologiens allemands Noth et von Rad au 20e siècle.
Les recherches des archéologues israéliens comme Finkelstein, et du théologien Thomas Römer, ont restructuré la chronologie de «L’histoire Biblique» en prenant au sérieux les découvertes du terrain, et les témoignages des peuples voisins des tribus hébraïques, au risque de leurs vies quand cela contredit les «vérités» des politiques au pouvoir.

Il y a de bonnes raisons de penser – mais elles sont encore sujettes à controverses – que les textes de la Bible, en particulier ceux de l’Ancien Testament, ont été mis en forme au 3e siècle av JC à Alexandrie, quand les communautés juives ont décidé d’unifier leurs références textuelles jusqu’ici fondées sur des textes copiés et recopiés dans diverses région du bassin Méditerranéen. Textes et pratiques influencés par les croyances et traditions religieuses des peuples dans lesquels les juifs se trouvaient mélangés.

Il était nécessaire de publier un texte en grec pour tous les sympathisants de la spiritualité juive, et de définir une version en hébreu compatible avec toutes les communautés, du Sud de l’Egypte, à la Gaule, de l’Atlantique à l’Indus.
Ce sont les textes appelés LXX (septante) et TM (Texte Massorétique)[Note 1].

Les «70» intellectuels rassemblés à Alexandrie, où se trouvait la plus grande bibliothèque de l’époque, ont analysés toutes les versions à leur disposition, de toutes origines, et en ont conservé ce qui leur semblait le plus cohérent, en tenant compte de ce qui tenait à cœur des uns et des autres, quitte à doubler les textes, à prendre des versions différentes savamment insérées pour que le texte soit respecté par tous.

A ce stade, les théologiens d’aujourd’hui font un travail de «restauration» en recherchant les origines des traditions, des récits, des événements évoqués pour les replacer dans leurs contextes, et dans une chronologie toujours relative, mais vraisemblable.
Sans informatique ni imprimantes, les copistes d’autrefois se sont efforcés de transmettre ces textes, avec parfois des fautes, des changements, quand cela leur paraissait trop extravagant, ou contraire à leurs convictions.

Le travail d’éditions «références» a donc repris avec la renaissance et l’imprimerie et n’est pas prêt de s’arrêter.

Question : Si cela ne s‘est pas passé comme on l’a toujours dit, comment croire ce qui est dans la Bible ?

3. Situations et contextes culturels.

Les peuples ont tous besoin de Romulus et Remus pour construire Rome, et Guillaume Tell [Note 2] pour assurer l’indépendance de la Suisse. En art, les personnages bibliques des tableaux de la renaissance sont mis en scène dans des décors grecs ou romains.
Les recherches historiques de l’origine des textes bibliques nous donnent de précieuses indications sur le contexte de leurs rédactions, ou la nécessité de les mentionner dans le cours de l’histoire composée du peuple hébreu, pour le 1er testament, et pour le nouveau, dans un temps beaucoup plus court, les mêmes exigences se font jour.

Nous savons que les tribus nomades – mais pas tant que cela – ont occupé la Palestine de tout temps. Chacune avait son ancêtre tutélaire, et son lieu de sacrifice, a moins que le lieu de sacrifice ait été adopté par l’ancêtre tutélaire, comme les chênes de Mamre et Abraham. Josué n’a pas fait tomber les murs de Jéricho en tournant autour, Jéricho était en ruine depuis des siècles, mais il était nécessaire de légitimer l’occupation de la région par la coalition (Amphictyonie) [Note 3] hébraïque au cours du 8-9e siècle avant JC.

Le conflit entre Jacob et Esaü défini le peuple d’Israël et les autres de la région de Moab, à l’est du Jourdain. Le développement commercial de la ville d’Hébron, carrefour des caravanes Arabie-Turquie ou Perse-Méditerranée, mettait en concurrence des tribus alliées – mais pas tant que ça – qui partageaient les mêmes références religieuses et se retrouvaient sur les mêmes sites sacrés : Pour les uns c’était Jacob l’ancêtre en qui ses héritiers se reconnaissaient, pour les caravaniers de l’est, c’était Esaü la référence,

pour les migrants du Nord, et d’Hébron, c’était Abraham, l’ancêtre local. En bonne intelligence, ne serait-il pas sage d’en faire l’ancêtre commun ?
Le conflit entre les deux royaumes d’Israel et de Juda a rendu nécessaire une clarification politique et religieuse qui va s’inscrire dans les récits de l’époque 7-6e siècle av.JC.
Les textes plus favorables à la royauté et à la prééminence de Jérusalem vont raconter les guerres qui se seraient déroulées 4 siècles avant : Comment David a vaincu les Philistins, s’est allié à Jonathan et conquis Jérusalem. Son fils Salomon en fera la capitale brillante d’un Israël mythique, mais toujours évoqué au 21e siècle.
Au 7e siècle, le royaume de Samarie était économiquement le plus important de la région de la Galilée. L’huile d’Olive, les vins sont exportés jusqu’en Grèce et Babylone. Le roi manifestait sa puissance et sa richesse par son palais[Note 4], son harem, et les divinités de ses clients dans son sanctuaire de Bethel. Rien d’original en comparaison d’aujourd’hui.
Les rédacteurs des textes relatifs à David et Salomon s’adressaient à leurs contemporains qui n’avaient aucune idée de la situation au 10e siècle av.JC : Jérusalem était alors un petit village, peu peuplé et rural, à côté – peut-être- du sanctuaire de Morija. Si David était un chef de bande de brigands à la solde des plus offrants, Salomon serait son héritier comme chef de tribu local.
Mais pour que le récit soit efficace au 6e siècle, il faut parler d’un type de roi réputé pour son opulence et son train de vie : Omri à Samarie. Les villages et lieux décrits dans les pérégrinations de David n’existaient même pas à son époque : Ils ont été colonisés par les réfugiés de Samarie quand la région fut annexée et le royaume battu par l’Assyrie. Les rois Omrides sont éliminés. Les textes nous disent que c’est à cause de leurs infidélités au Dieu des Jérusalemites, YHWH.
Le livre de Samuel nous raconte les inconvénients d’avoir un roi au lieu d’un Juge.
Le roi accapare les richesses, prend les enfants pour en faire des soldats, et ne suit que son intérêt. Le livre de Samuel est écrit alors que les contemporains de ses auteurs savent par expérience depuis au moins deux siècles que les qualités d’un souverain sont très relatives, et qu’au moment de reconstruire l’indépendance du peuple, après les décrets de Darius qui permettait a peuple de réinvestir Jérusalem, il serait bon de réfléchir au régime qui veillera à la destinée de la population.

Dans le 2e Testament, le récit des Actes des Apôtres décrivant l’intervention de Paul à Athènes montre qu’il ne faut pas se tromper sur les convictions des sages de l’Aréopage, qui ne prennent pas Jupiter et ses comparses très au sérieux.
Les récits de résurrections attribués à Jésus pour la fille de Jaïrus, le gérant de la synagogue de Capernaüm, ou le «fils» du Centurion, qui en a financé la reconstruction 40 ans pus tard ont sans doute plus a voir dans la légitimation de son architecture et de la composition de sa communauté que l’accomplissement des miracles. Si Jésus l’a fait, c’est bon : Plus d’interdit religieux à la fréquentation des fidèles même romains.

Tous ces récits sont «Légitimes» et ont de bonnes raisons de figurer dans la Bible, car tous visent un même objectif : Vivre mieux ensemble et suivre les 10 paroles en famille, en tribus, en peuple. Les resituer dans leurs contextes et dans l’histoire n’en diminue pas la valeur ou la pertinence, mais met en évidence le talent des auteurs qui les ont transmis pour qu’ils aient sens aujourd’hui.

Mais qu’est-ce qui a poussé les premiers conteurs à raconter la création du monde et l’aventure humaine qui apparaît dans la Bible ?

4. la vie se développe avec l’idée nécessaire de Dieu ?

Les récits de la « création » répondent à la question « D’où venons-nous ? » avec les moyens du bord culturels de l’époque, avec l’hésitation sur la création de l’homme, puis de la femme à son côté, ou de l’entité image de Dieu « homme et femme », pour ne froisser personne, les deux versions sont conservées…

Mais revenons plus tôt, à l’origine de la vie. La pérennité de l’espèce, des espèces vivantes repose sur différentes formes de transmissions, basée sur les chaînes de l’ADN. Dès la prise de conscience des moyens de transmission de la vie par les humains – sans préciser leurs caractères ou leurs espèces, cela semble assez commun à tous – mais dans une certaine mesure chez tous les animaux, la multiplication des individus va poser des problèmes de coexistence.
Les mammifères s’organisent avec un dominant, généralement mâle, parfois femelle.
Les loups, les éléphants, les vaches d’Hérens par exemple.
Chez les hominidés certainement aussi, sauf que les dominants de divers groupes entrent en concurrence. En famille, entre groupes locaux, il est nécessaire d’établir des conditions de vie pacifique pour protéger la survie de tous. Les règles dominants dominés organisent la hiérarchie. L’élimination du concurrent règle momentanément un conflit, mais la vengeance menace la survie de son groupe.
Prendre le gibier de son voisin est un affront qu’il faut venger… Il faut donc établir des règles élémentaires : Il ne faut pas tuer son semblable, il ne faut pas lui voler sa nourriture ou son bien, il faut respecter sa famille.
Très bonnes idées, mais pourquoi, et au profit de qui va-t-on observer ces règles ?
Le maître du jeu est le ou la dominant-e, contestable par plus fort, plus jeunes, plus séduisant … et comment se protéger en société des changements intempestifs de normes ?
En déclarant que ces règles viennent d’un super dominant, à l’origine de la vie, qui est institué comme « divinité » du groupe. Le dominant local devient son interprète… Le dieu tutélaire est « permanent ». Il préexiste au groupe, et survit à tous ses membres. Il est à la source de ma vie, et je le rejoindrai à son terme.
Dans son livre « On achève bien les hommes » Dany-Robert Dufour met en évidence cette hypothèse de la naissance de la religiosité. Il constate que dans toutes les civilisations, il y a ce qui ressemble aux «Dix Paroles » de Moïse qui régulent la vie en société … avec des succès très relatifs, nous savons par expérience même aujourd’hui qu’il y en a qui sont « plus » égaux que d’autres, en dépit des «Dix Paroles »
Les Évangiles y ajouteront la nécessité de la charité et de la bienveillance.
La contemplation de la nature, la nécessité de l’eau pour le développement des plantes, de la succession du jour et de la nuit, et dans certaines régions, la succession des saisons, le Soleil et la Lune, induisent des rituels pour apaiser les colères, appeler la pluie, donner du courage, soulager les peines. Un objet, une figuration symbolique donnera une identité à la divinité du groupe. Un lieu lui sera réservé…

La magie humaine conduit au désir de puissance, les divinités sont de plus en plus lourdes de sens et de non-sens, et surtout encombrantes moralement, spirituellement et physiquement.
Une conjonction d’exigences pratiques, de constatation d’impuissance matérielle concrète a conduit un groupe à décréter que les « Dix Paroles » ont été communiquées à l’un des leurs, et que ce serait la seule preuve de l’existence d’une divinité dont le nom serait quelque part entre « Je Suis » tout autre, et au cœur de moi même quand « je
suis » fidèle à son message.
Thomas Römer dans sa série sur « l’Arche de l’Alliance » [Note 5] met en évidence que la
« présence divine » est très relative. Le contenu du coffre finalement (?) déposé au Temple de Jérusalem, et à jamais disparu, n’a pas d’importance, ce qui compte c’est l’observation des règles fondamentale.
Jésus de Nazareth n’a pas prêché autre chose que la fidélité aux « Dix Paroles » en y ajoutant l’amour du prochain comme témoignage de l’Amour de Dieu.

Ainsi tout le processus d’écriture de la Bible est marqué par ce « souffle de vie », interprété par des conteurs, des philosophes, des mythes, des souvenirs, des considérations sur les travers des parcours humains. Il y a des hauts et des bas, des guerres et des conquêtes, des affrontements gagnants ou perdus analysés au filtre des relations entre les humains et leurs dieux. Mais toujours en ayant en mémoire cet objectif annoncé dans les Évangile : Le Royaume de Dieu qui n’est pas loin …

Conclusions

Non, la Bible n’est pas la collection antique des plus folles « Fake News » a rejeter au nom d’une laïcité mal comprise.
La Bible contient ce qui peut nous aider à comprendre notre monde. Elle est un exemple de décryptage historique des sociétés que nous observons aujourd’hui. Elle est le témoignage de la géniale inspirations de ses rédacteurs, qui ont su extraire de leurs réalités ce qui fera toujours sens pour leurs lecteurs. [Note 6]

En effet, la Bible n’est pas plus « Parole de Dieu » que « parole d’humanité », et de ce fait, n’est pas plus « sacrée » que n’importe quel livre de votre bibliothèque.
Son contenu vous donne une idée de ce qui peut se passer lorsqu’on outrepasse ses droits ou ses responsabilités. Et comme la liberté vous est donnée de vous conformer à la « Règle Commune », vous en assumerez les conséquences si vous vous en écartez, et cela aura un impact certain sur vos semblables et sur toute la création.

Chandolin, le 11 octobre 2021.

Notes

  1. Les massorètes ont introduit des signes de vocalisation dans l’hébreu qui ne comporte que des consonnes.
  2. Légende scandinave.
  3. Organisation structurée de tribus, généralement 12, selon Claude Levy-Strauss.
  4. Donald Trump ne fait pas autrement !
  5. Collège de France , vidéo.
  6. Voir «les bonnes raisons d’écrire les récits de la résurrection» sur le site de Bernard van Baalen de WWW.ACADEMIA.EDU
La Bible, un livre à multiples entrées.
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